jeudi 19 août 2010

L'Afrique Réelle N°8 - Août 2010

























 
SOMMAIRE :

Dossier : La réalité ethnique en Afrique
- Définitions
- Jean-Pierre Chrétien, ou les ethnies vues comme un fantasme colonial
- Les tutsi ont ils été créés par la colonisation ?
- L'insolite méthodologie de Jean-Pierre Chrétien

Actualité des ethnies :
- Guinée : la réalité ethnique à travers l'exemple des dernières élections présidentielles
- Afrique du Sud : la réalité ethnique à travers les forces politiques

EDITORIAL :

En France, le fait ethnique a longtemps été banni des études africaines car le postulat qui sous-tendit les travaux des africanistes de la seconde moitié du XX° siècle, fut que ces dernières avaient été créées par la colonisation. Poussons à son terme ce postulat aberrant énoncé par Jean-Pierre Chrétien, Jean Loup Amselle ou encore Catherine Coquery-Vidrovitch : si l’Afrique précoloniale ignorait les ethnies, le continent n’avait donc pas d’histoire et il n’était qu’un conglomérat d’individus indifférenciés ultérieurement structuré par la colonisation... Cette vision est parfaitement stupide, mais revenons néanmoins au cœur de la théorie de Jean-Pierre Chrétien et consorts. La réponse à leur thèse tient en une question : les ethnies existaient-elles au moment où se fit la colonisation ? La réponse est oui, évidemment oui car, en Afrique comme dans le reste du monde, l’Histoire s’écrit autour des peuples, des ethnies. En Afrique, l’actualité le montre quotidiennement, et, hélas, de manière régulièrement dramatique de la Côte d’Ivoire au Soudan, du Tchad au Rwanda et du Kenya à la RDC, etc. Nier une telle évidence ne relève pas de la controverse scientifique, mais de la pathologie. Dans ce numéro de l’Afrique Réelle, nous montrons que cette réalité ethnique est également la clé de la situation en Afrique du Sud et en Guinée.

Tout est-il pour autant ethnique ? La question africaine se résume t-elle à une addition de problèmes ethniques ? Evidemment non, mais si l’ethnie n’explique pas tout, elle est cependant à la base de tout, même quand l’apparence des crises est économique.
Trois exemples le démontreront :
 
1) Ce n’est pas le pétrole qui est à l’origine de la guerre du Sud Soudan, mais l’opposition entre populations nordistes arabo-musulmanes et sudistes négro-africaines. Cette guerre, résurgence de conflits multi séculaires a éclaté en 1956 alors que le pétrole n’est produit que depuis une décennie à peine.
2) Le trafic du coltan n’explique pas les guerres du Kivu, même si aujourd’hui il les alimente en partie. Elles ont en effet éclaté dans les années 1990 quand les Tutsi congolais (les Banyamulenge) furent instrumentalisés par le Rwanda pour déstabiliser le régime Mobutu.
3) Les diamants n’ont pas provoqué la guerre civile de Sierra Leone puisque sa cause en est la contagion découlant de la guerre ethnique du Liberia et des évènements ethno politiques de Guinée. Ce ne fut que dans un second temps que le conflit s’est nourri du commerce des diamants.

Depuis les années 1990, le problème ethnique africain a été amplifié par la démocratie. Le placage de la démocratie fondée sur le « one man one vote » aboutit en effet à l’ethno mathématique puisqu’il débouche sur la victoire automatique des plus nombreux. Le problème n’est d’ailleurs pas tant la démocratie en elle-même que la manière dont elle a été transposée en Afrique sans qu’auparavant il ait été réfléchi au mode de représentation et d’association au pouvoir des ethnies minoritaires. C’est pourquoi il est impératif de définir des voies constitutionnelles permettant la cohabitation ethnique sur des bases consensuelles et cela, afin d’éviter que les plus nombreux soient automatiquement détenteurs d’un pouvoir issu de l’addition des suffrages. La solution pourrait être un système dans lequel la représentation irait d’abord aux groupes et non plus aux individus. Mais il s’agirait là d’une véritable révolution culturelle car, en définitive, ce sont les fondements philosophiques des sociétés démocratiques « occidentales » fondées sur l’individualisme qui seraient alors remis en cause. Avec l’universalisme destructeur qui les supportent.

Bernard Lugan

4 commentaires:

  1. Cher Monsieur,

    Toujours un très grand plaisir à vous écouter et à lire, notamment votre premier essai lu il y a 20 ans.
    Sur realpolitik.com, vous faites allusion à l'humiliation subie par les africains, pendant 80 ans: je vous trouve bien indulgent.
    Non seulement, la colonisation a été une chance pour l'Afrique, mais que devraient dire les espagnols humiliés pendant 781 ans, mais tout de même devenus champions du Monde De football.
    Quant aux africains, ils ont été humiliés par leur congénères colonisateurs pendant des siècles et par les arabes esclavagistes depuis l'Hégire.
    Faits dérangeants que Mr Thuram voudrait bien éffacer.

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  2. Le bas clergé Jean-Pierre Crétin, oups, je voulais dire votre confrère Jean-Pierre Chrétien, risque de mal digérer votre analyse qui est, selon moi, bien plus pertinente que la sienne (et je le dit en toute impartialité).

    En parlant de bas clergé, je crois qu'il y a un gros travaille de remplacement à effectuer du coté de la classe politique actuelle, n'est-ce pas? Y compris pour certains sociologues et philosophes autoproclamés, d’ailleurs.

    En tout cas, il y a deux phrases de votre texte que je ne risque de ne pas oublier tellement elles sont cohérentes:

    - Si l’ethnie n’explique pas tout, elle est cependant à la base de tout, même quand l’apparence des crises est économique.

    - Le placage de la démocratie fondée sur le « one man one vote » aboutit en effet à l’ethno mathématique puisqu’il débouche sur la victoire automatique des plus nombreux.

    Et oui, je me suis toujours méfié des bienfaits de la démocratie lorsque ça concerne un pays multiracial ou multiculturel car comme le dit Mr Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour, je cite,
    "Dans les sociétés multiraciales vous ne votez pas en fonction de vos intérêts économiques et sociaux mais en fonction de votre groupe ethnique et religieux."

    Bien que votre analyse ne se base que sur la question ethnique en Afrique, je ne peux, toute fois, m'empêcher d'y voire un signe de mauvaise augure vis-à-vis de l'avenir de notre pays qui, à sa manière, s’africanise de façon exponentiel.

    Benoit

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  3. Merci de transmettre à Bernard Lugan, rencontré à Chiré l'an dernier, que j'ai publié sur le Blog du SCB son article de la NRH, défendant Reynald Secher et son intégrité.Reynald est à nouveau persécuté par le maire de la Chapelle Basse Mer.
    Adresse du Blog:www.souvenirchouandebretagne.
    Avec mes respectueuses salutations.

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  4. Je suis une "universaliste", c'est à dire que je pense qu'il existe une identité profonde entre les êtres humains, des principes moraux fondamentaux universels.
    Mais universalisme, ne doit pas rimer avec monomanie, ni avec ignorance.
    Les principes moraux qui me paraissent essentiels, impliquent au contraire toute l'adaptation nécessaire aux circonstances diverses et fort variées dans lesquelles se déroulent la vie des gens, adaptation basée sur la connaissance des faits et non le placage dogmatique à des gens ou des sociétés de plans pensés ailleurs ou hors de toute réalité, adaptation qui favorise la VIE, dans le concret, le réel et l'actuel.
    La démocratie est le systeme d'organisation du pouvoir destiné à permettre la prise en compte de chaque personne, de chaque individu, mais elle n'est en définitive en tant que forme, qu'un moyen. Si compte tenu de l'histoire, des rapports sociaux usuels, son application génére plus de conflits que d'harmonie, elle ne remplit pas son but. La démocratie "materielle", le souci de protéger au mieux "tout le monde", toutes les personnes, est ce qui compte, et il peut être éventuellement assuré par d'autres organisations politiques non tyranniques, -comme il l'a été dans l'histoire européenne d'ailleurs ...

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